L'atelier monétaire de Corent
L’Archéologue - Archéologie Nouvelle n°68, octobre-novembre 2003, 49-50

La découverte d’un sanctuaire gaulois sur le plateau de Corent (Puy-de-Dôme), dont les médias se sont récemment fait l’écho, est déjà connue de nos lecteurs - cf. n°59 et 65 de « L’Archéologue ». Trois années de fouille y ont mis au jour un vaste centre cultuel comparable, par son plan et son ampleur, aux grands sanctuaires du nord-ouest de la Gaule : deux temples jumeaux, des autels et des cuves dédiés au sacrifice, aux libations et au festin cultuel, délimités par un grand enclos palissadé de plus de 50 m de côté, pourvu d’une entrée monumentale orientée à l’est. La vocation religieuse du site se voit confirmée, cette année, par la découverte d’ossements de chevaux déposés dans le fossé, en association avec des crânes humains et des fragments d’épées, dont la datation remonte jusqu’au début du 2e siècle avant notre ère.


Ces dépôts spectaculaires ont occulté une autre découverte, qui n’a guère retenu l’attention des médias. Les abords de la porte du sanctuaire mise en évidence cet été ont livré plusieurs indices convergents, attestant la fabrication sur place de monnaies gauloises en bronze et en argent. Cet artisanat laisse des vestiges fugaces. Premier indice : la présence de nombreuses monnaies inachevées ou « ratées », flans non frappés, jets de coulée, frappes excentrées, découpes malhabiles... Ces défauts propres aux pièces issues de ce secteur les distinguent des autres monnaies recueillies, par centaines, dans l’enceinte du sanctuaire. On peut en déduire qu’elles n’ont pas été mises en circulation, mais ont été abandonnées sur place. Cette hypothèse est confortée par leur association avec des petits outils en fer utilisés pour le travail du métal - petit burin ou ciseau, ainsi qu’une lime. Plus exceptionnelle encore, une balance en bronze a été retrouvée intacte, avec son fléau et ses deux plateaux. Instrument de précision utilisé pour l’orfèvrerie ou la production monétaire, elle était environnée de nombreuses pastilles en plomb, utilisées comme poids ou pour la fusion des alliages.

La précédente campagne avait déjà mis au jour, à quelques mètres de là, un petit cylindre en fer identique aux trois coins monétaires anciennement recueillis dans une parcelle attenante au sanctuaire. L’objet, en attente de restauration, était associé à une pastille en métal coulé, que l’on peut interpréter comme un fond de creuset. Son analyse a révélé un alliage composé à 70 % d’argent et à 20% d’or, caractéristique de certains numéraires arvernes.

L’existence d’un atelier monétaire lié au sanctuaire de Corent est soupçonnée depuis longtemps par les numismates, qui lui attribuent une majorité des monnayages arvernes émis avant la Conquête. Les découvertes de cette année permettent de le localiser plus précisément dans l’enceinte même du sanctuaire, à proximité de l’entrée, sous la grande galerie sur poteaux qui succède à l’enclos palissadé au 1er siècle avant notre ère.

Elles cadrent également avec les pratiques, rapportées par Posidonios d’Apamée, du « démagogue » Luern, qui s’attirait des faveurs électorales par l’organisation de gigantesques festins et la distribution de pièces d’or et d’argent, jetées à la volée du haut de son char. L’allégorie du chef arverne capable de produire des monnaies à volonté trouve, à Corent, sa traduction concrète dans l’existence d’un atelier monétaire qui a également livré des pièces d’ornement de char en fer et en bronze. La réalité rejoint la légende : celle de ces aristocrates gaulois réunis en armes dans de vaste enclos, pour y festoyer et y frapper des pièces à leur image. Tels ces centaines de petits bronzes frappés à Corent, ornés d’un renard - louernos, en gaulois - juché sur une roue de char...

Matthieu Poux